Infolettre de Novembre 2025 – Miz Du, la mort… et la vie
Bonjour à toutes et à tous,
Nous voici déjà en novembre!
Halloween a envahi nos vitrines, nos boîtes e-mail et parfois même nos salons, citrouilles en plastique à l’appui. Derrière ces déguisements de squelettes fluorescents, il y a pourtant une histoire beaucoup plus ancienne.
La fête de Samhain, célébrée par les peuples celtes, marquait la fin des récoltes et l’entrée dans la saison sombre, l’hiver.
Elle était souvent considérée comme une forme de nouvel an celtique : un moment charnière où l’on changeait de cycle, où la frontière entre le monde des vivants et celui des morts était réputée plus fine, l’occasion d’honorer les ancêtres et les esprits.
Aujourd’hui, dans nos sociétés, la mort a disparu du paysage : on meurt surtout à l’hôpital, loin des maisons, on évite le sujet à table, on euphémise (“il nous a quittés”, “elle s’est endormie”). Comme si, en ne prononçant pas le mot, nous pouvions échapper au réel.
Et pourtant, la façon dont nous vivons nos deuils est intimement liée à notre rapport à la mort.
Peur de sa propre mort : quand l’idée du néant donne le vertige
Certaines personnes que je rencontre en séance ont une peur très vive de leur propre mort.
Pas seulement une inquiétude abstraite, mais une angoisse presque physique :
« Un jour tout va s’arrêter. Et après ? Rien ? »
Pour celles et ceux qui ne croient en rien après la mort, la perspective d’un néant définitif peut être particulièrement difficile à apprivoiser. L’idée que la vie serait “juste ça, puis plus rien” peut alors provoquer une sensation d’absurdité profonde.
Dans mon travail, j’aime proposer un espace où l’on peut rencontrer la mort symboliquement :
l’imaginer en face de soi, lui dire combien elle fait peur, lui crier son injustice, sa colère, sa tristesse. Puis, peu à peu, l’envisager comme une limite posée à la vie… une limite qui, justement, peut nous aider à choisir ce que nous voulons vraiment vivre d’ici là.
Des auteurs comme le psychiatre Irvin Yalom ont montré combien la conscience de notre finitude pouvait être, paradoxalement, une source de réveil et d’intensité de vie : « si la réalité physique de la mort détruit l’homme, l’idée de la mort le sauve », écrit-il, en s’appuyant sur la tradition de la philosophie existentielle.
L’objectif en thérapie n’est pas de “ne plus avoir peur du tout” – ce serait très inhumain – mais de ne plus être paralysé par cette peur : pouvoir se dire “oui, je vais mourir un jour… et justement, d’ici là, comment ai-je envie de vivre ?”.
Peur de perdre les autres : sous la mort, la peur de l’abandon
Il y a ensuite une autre peur : celle de la mort de nos proches.
Parents, conjoint, enfant, ami très cher… Là, ce qui se joue, ce n’est pas seulement la disparition de l’autre, mais souvent une crainte très profonde :
la peur de se retrouver seul,
la peur de ne pas “tenir le coup”,
la peur de ne pas savoir se débrouiller sans l’autre.
Derrière cette peur, on retrouve fréquemment des séparations précoces, des hospitalisations, des déménagements, des départs qui ont été très douloureux, parfois à des âges où l’on ne comprenait pas bien ce qui se passait, mais où le corps a tout enregistré.
À l’inverse, une surprotection excessive peut aussi nourrir l’idée que “le monde est dangereux” et que l’on ne pourra jamais faire face seul, ce qui renforce l’angoisse de perdre ceux qui nous servent de béquille.
Dans ces cas-là, travailler sur les croyances profondes – “je ne pourrais jamais y arriver seul(e”, “si l’autre disparaît, je m’effondre” – est souvent très libérateur.
L’hypnose, l’EFT (Technique de Libération Émotionnelle) et les approches inspirées de l’EMDR permettent de revisiter ces expériences anciennes, de les “digérer” émotionnellement, et d’installer peu à peu une autre vision de soi :
« Je peux être en lien, aimer profondément… et je peux aussi exister, même si la vie me confronte à des pertes. »
Des auteurs comme le Dr Christophe Fauré décrivent très bien la complexité du deuil et ses dimensions émotionnelles, relationnelles et spirituelles, en insistant sur ce cheminement qui se vit jour après jour.
Miz Du : le mois noir… et le risque d’hibernation sociale
Ceux qui me connaissent savent que je suis une Bretonne exilée à Paris depuis un bon moment.
En breton, novembre se dit “Miz Du”, littéralement “le mois noir” : c’est le mois sombre par excellence, celui où les jours raccourcissent, où la pluie s’invite plus souvent que le soleil, et où l’on entre dans la saison froide dans le calendrier celtique.
Traduction contemporaine :
“Plaid, série, chocolat chaud, téléphone collé à la main… et on verra les autres au printemps.”
Quand on est déjà un peu anxieux social, Miz Du est un allié dangereux : il fournit de très bons prétextes pour ne plus sortir, ne plus répondre, ne plus se confronter au regard des autres.
Un petit exercice très simple peut cependant vous aider à déjouer ce repli :
Pensez à une soirée, un spectacle, un film ou un moment avec des amis où, avant de sortir, vous aviez clairement la flemme.
Rappelez-vous comment vous vous sentiez en rentrant : plus vivant(e), nourri(e), fatigué(e) mais content(e) ?
Puis faites l’expérience inverse :
Imaginez un week-end entier passé devant les écrans, en jogging, sans sortir.
Visualisez le lundi matin : votre niveau d’énergie, votre moral, votre motivation à reprendre la semaine.
Les deux peuvent avoir leur utilité (oui, parfois, un week-end “playlist + plaid + rien du tout” fait un bien fou).
Mais demandons-nous honnêtement :
« De quoi ai-je vraiment besoin, là, tout de suite ? De repos… ou de lien ? »
Je vous le donne en mille : votre canapé ne vous en voudra pas si vous le trompez de temps en temps avec un cinéma, un théâtre ou un bon resto.
Pour aller plus loin : quelques lectures pour apprivoiser la mort… et la vie
Si ces thèmes vous parlent, voici quelques livres qui peuvent vous accompagner :
Christophe Fauré – Vivre le deuil au jour le jour, Albin Michel, nouvelle édition revue et augmentée (2018). Un ouvrage très accessible pour comprendre les différentes phases du deuil, leurs effets sur le corps, le cœur et la vie quotidienne.
Marie de Hennezel – La mort intime. Ceux qui vont mourir nous apprennent à vivre, essai publié en poche en 2006. Un texte sensible et profond sur l’accompagnement de la fin de vie, qui montre combien la proximité de la mort peut aussi être une leçon de vie.
Irvin D. Yalom – Le jardin d’Épicure. Regarder le soleil en face, Galaade, 2009. Un essai de psychothérapie existentielle qui explore la peur de la mort et la manière dont elle façonne nos choix de vie, en s’appuyant sur la philosophie d’Épicure et sur des histoires de patients.
Pour les curieux de l’histoire des mentalités : Philippe Ariès – Essais sur l’histoire de la mort en Occident (Seuil, 1975, rééd. Points). Un classique pour comprendre comment nous sommes passés d’une mort familière, visible et partagée, à une mort plus cachée et “refoulée” dans nos sociétés contemporaines.
À picorer selon votre humeur : du très concret, du très sensible, du très philosophique… à vous de voir ce qui résonne.
En résumé, novembre, Halloween, Samhain, Miz Du… tout cela nous parle, d’une manière ou d’une autre, de fins et de commencements, de ce qui disparaît et de ce qui peut naître ensuite.
Nous ne pouvons pas négocier avec la mort.
En revanche, nous pouvons choisir ce que nous faisons de la vie qui reste : sortir malgré la pluie, dire à quelqu’un qu’il compte pour nous, oser commencer quelque chose qu’on remet à plus tard depuis trop longtemps.
Je vous souhaite un mois de novembre peut-être un peu sombre dehors…mais pas éteint à l’intérieur.
À bientôt,
Anne